Plongée dans l’ombre - Gouffre Berger 2025

Participants : Damien, David, Florian, Xavier, Antoine, Vincent

Lieu : commune d'Engins, Isère, Vercors

Date : 01 au 03 août 2025

T.P.S.T : 16h

Ecrit par : Damien, Vincent, Xavier

Une idée persistante

Est-ce au retour du Scialet de la Fée Anglaise ou bien du Scialet du Gour Fumant ? En août ou septembre 2024 ? On ne sait plus dire exactement, mais en quittant le Vercors pour rejoindre les rives du Rhône, Xavier évoque le Gouffre Berger et les rassemblements internationaux annuels organisés par la Fédération Française de Spéléologie (FFS) dans cet abîme qui fut le premier au Monde où des spéléologues ont atteint la profondeur mythique de - 1 000 mètres en 1956.


C’est donc lors d’un trajet en covoiturage, au retour d’une virée spéléologique dans le Vercors, que Xavier nous partage son souhait de tenter les - 1 000 mètres du Gouffre du Berger. Et cela provoque immédiatement une folle envie chez Vincent qui se demande toutefois si cela est bien raisonnable.


Les semaines passent mais l’idée persiste. Aussi un soir d’entraînement, le pari est lancé comme une blague, Vincent sourire en coin dit à Xavier :

— « Et si on faisait le Gouffre Berger ? »


Un silence, un éclat de rire, puis une réponse de Damien, désespérée :

— « Pauvre fou … on n’a pas le niveau !?! »


Enfin peut-être David et Xavier mais nous autres, on n’a encore jamais bivouaqué sous terre et pire encore, on n’est jamais descendu au-delà de 200 mètres de profondeur.

Mais l’idée restait là, suspendue comme une corde dans le vide. Alors un entraînement pour cet objectif se met en place : plusieurs sorties avec bivouac, des marches en montagne, un week-end sur le plateau d’Albion pour descendre le Souffleur à -600m, des sorties sportives … et, huit mois plus tard, nous y étions. Prêt ? ça chacun se le demande.

Inscription collective pour l'aventure


Comme toujours, avec son infatigable sens de l’organisation, David prépare avec efficacité notre inscription groupée pour le rassemblement Berger 2025.


Avant le Berger, le record de profondeur pour Damien et Vincent était de seulement - 200 mètres. Un objectif modéré est donc fixé par David : « Le Vestiaire » profondeur -640m. Pour Damien, une seule pensée : « Ce sera déjà énorme ! »



Préparatifs et arrivée sur le camp de base à Méaudre-en-Vercors


Le nécessaire de camping, le matériel de spéléologie et les kits sont préparés jeudi.

Vendredi 01/08, départ en covoiturage de Clonas-sur-Varèze à 14h pour une arrivée vers 17h au camp de base à Méaudre. L’air sent bon la résine et la terre humide. Le sol est encore tiède du soleil de la journée, mais déjà l’ombre s’installe. Les tentes se dressent une à une, cliquetis de sardines, bruissement des toiles tendues.

À 18h, un briefing est donné par les organisateurs du Berger 2025 aux équipes souhaitant descendre le lendemain. Les infrastructures et les règles de vie du camp de base sont expliquées. La topographie du Gouffre Berger et ses difficultés sont détaillées. Enfin il est demandé à chaque équipe d’inscrire son horaire de départ le lendemain matin et son objectif.


À 18h30, la voix claire de Célestine, depuis son téléphone, éclate en rires et en encouragements qui font sourire tout le monde.


Vers 19h, c’est enfin l’apéritif, odeur de fromage et de saucisson, tintements des verres. La bonne humeur est au rendez-vous. Antoine teste son gant et sur-gant protégeant son pouce. Un tranchoir à saucisson gourmant, lui ayant quasi tranché une rondelle de pouce quelques jours plus tôt. Florian ajuste son attèle de genou qui le fait souffrir. David semble avoir une mine bien fatiguée, surement les derniers sujets chauds au boulot à traiter avant le départ en vacances. Xavier a encore des ampoules sous le pied mais une journée dans les chaussons néoprène devrait soigner. Damien parait bien concentré sur l’objectif. Et Vincent, toujours le sourire et l’entrain.

Sommes-nous prêts ?


Les binômes sont confirmés :

  • Xavier et Antoine ;

  • David et Florian ;

  • Vincent et Damien.


Un kit pour deux, ration de nourriture pour deux repas, eau, matériel de survie. Chacun vérifie son matériel dans un silence soudain plus sérieux. Les lampes testées, les harnais ajustés, les mousquetons tintent dans la pénombre.


Enfin chacun regagne sa tente pour passer la nuit du vendredi au samedi.

L’approche


Samedi matin, avec une bonne heure de retard après un petit déjeuné apprécié, nous quittons le camp de base à 08h15 pour rejoindre en voiture le parking de La Molière, point de départ de la marche d’approche vers l’entrée du Gouffre Berger. Au parking on enfile les combinaisons spéléo et on fignole le garnissage des kits, puis on entame la marche d’approche vers 09h30 en croisant quelques vaches pâturant paisiblement dans les prés sommitaux de La Molière.

Les sacs écrasent les épaules, la marche s’allonge, les pas résonnent sur la terre dure. L’air sent la mousse et le bois humide. La pente descend sans fin. Faute de réseau, le smartphone perd son utilité et un cruel questionnement se pose, où en somme nous ? À mi-chemin indique l’appareil numérique de Vincent qui ne fait plus l’affaire.


On rentre vite dans une belle forêt parsemée de fourmilières et habillée de sapins majestueux. Le sentier passe au voisinage de dolines remarquables, on traverse aussi quelques surface structurales calcaires plus ou moins lapiazées.


Les voix se font rares, remplacées par le souffle lourd des respirations. On s’égare quelque peu, la lecture des carte et boussole nous le suggère fortement. Heureusement on avait remarqué un cairn que nous avons vite retrouvé après avoir rebroussé chemin. C’était le bon indice et nous reprenons rapidement le sentier adéquat.


Nous trouvons l’entrée du Gouffre Berger vers 10h40 après avoir marché 4 km en bonne partie dans les bois. On enfile les harnais et dossards, et on s’inscrit sur le registre d’entrée disposé sous un abris bâché.

Puis le bruit : un frisson de pluie dans les arbres. En quelques instants, l’averse est là, lourde, glacée, martelant les casques. Précipités par la pluie nous entrons dans le Gouffre Berger à 11h passé de quelques minutes. L’air change, plus froid, plus dense. On bascule dans l’ombre.


Florian, derrière, lance d’un ton presque détaché :

— « J’ai oublié ma pédale… ma lampe… et ma barre de céréales… dans la voiture. »

Un silence. Puis des rires incrédules :

— « Trop tard … on est à une heure de marche … on descend ! »

David rassure et presse Florian, il y a tout ce qu’il faut dans les kits pour remplacer le petit matériel oublié.

Premiers puits



Le puits Ruiz s’ouvre devant nous, un vide noir qui avale la corde. Le cliquetis métallique des mousquetons résonne. On descend lentement, la corde qui grince dans le descendeur, les pieds cherchant les prises invisibles.


Puis viennent les ressauts Holidays : quatre mètres, encore quatre, puis sept, puis quatre à nouveau. L’odeur de roche mouillée s’incruste dans les gants. On descend le puits du Cairn, de vingt-cinq mètres, qui se jette droit dans l’obscurité. Les voix se perdent au fond.


À - 85 mètres, un méandre se déploie, étroit puis haut, un couloir qui serpente, les bottes qui raclent la pierre, les lampes qui éclairent des éclats cristallins. On cherche ses appuis sur les parois glissantes. Le kit dans le dos, il faut jouer avec les mains, les coudes et les épaules entre deux prises où poser les pieds.


Pour finir le « Réseau Alex » on enchaine trois beaux puits vertigineux, Garby, Gontard et Aldo respectivement de 38, 28 et 42 mètres. Ayant à peine rejoint la galerie principale, le record de profondeur est d’ores-et-déjà battu pour Vincent et Damien, puisque l’on est à plus de 230 mètres sous terre !

La galerie principale dite « Rivière sans étoile »


Après les puits on progresse dans une vaste galerie où les salles majestueuses se succèdent avec notamment la somptueuse « Salle des Treize » à -500m. Tout est immense, les volumes sont considérables et les stalagmites géantes de la « Salle des Treize » nous apparaissent énormes. Les voûtes disparaissent dans un noir que nos lampes ne peuvent percer. L’air est lourd, saturé d’humidité. L’eau goutte depuis les plafonds, chaque impact résonne comme une horloge invisible.

Une bonne partie de la progression se fait dans de grands éboulis chaotiques où il faut prendre le temp de repérer les balises réfléchissantes pour ne pas s’égarer entre les grands blocs de roche effondrés.

Un groupe de stalagmites relativement modestes mais curieusement « tordues » occupe une partie de la fascinante « Salle des Treize ». La croissance de ces spéléothèmes a visiblement été perturbée par le basculement de leur substrat. Ces stalagmites ont en effet pris place sur un chao de blocs rocheux instables.


La lampe Armytek de Damien vacille. La seconde batterie ne tient pas. Un grésillement, la lumière faiblie, puis s’éteint presque. Florian prête son faisceau de lampe sans un mot.


Parmi les alluvions de la rivière qui s’écoule dans la galerie principale, Xavier trouve un oursin fossile très bien conservé. Ce fossile présente une forme en cœur, typique du genre Micraster, un oursin du Crétacé (https://fr.wikipedia.org/wiki/Micraster). Suite à cette découverte, Vincent observe que de nombreux oursins fossiles ponctuent les calcaires marneux gris dans certaines parois de la galerie principale.


Antoine grimace, son pouce tailladé enfle sous le gant. Florian traîne son genou blessé depuis trois semaines. Mais personne ne parle de remonter.


Vincent profite de l’émerveillement de l’équipe pour prendre des photos, beaucoup seront floues ou mal exposées, mais à force d’essais quelques-unes seront réussies. On pourra donc illustrer ce compte rendu et conserver de belles images de notre aventure.

Le but

La galerie principale, dix mètres de diamètre, s’étire devant nous, majestueuse. L’écho renvoie nos pas, démultipliés, comme si nous étions suivis. La roche luit d’un film d’eau, les parois respirent, presque vivantes. On jubile devant la variété des paysages souterrains : grands éboulis, succession de gours aux eaux limpides, augustes concrétions, parois minérales imposantes …


Encore quelques cordes, et enfin David confirme : -640m nous sommes arrivés dans « Le Vestiaire » à l’entrée du « Réseau des cascades ». Pour toute l’équipe c’est un souffle de victoire : l’objectif est atteint !


Xavier lance un regard complice :

— « Tu continues ? »

Damien hoche la tête. Il se lance dans la vire … mais deux spéléologues suédois surgissent de l’ombre en contrebas. Prioritaires car effectuant leur remontée le couple suédois stoppe Damien dans son élan.



Dans « Le Vestiaire » l’équipe se sépare en deux groupes. Florian, David et Damien prennent la décision de remonter au camp situé à la cote - 494 m dans le « Grand Éboulis » afin de s’y reposer une petite heure. Xavier, Antoine et Vincent poursuivent un peu plus vers les profondeurs du Berger, pour une demi-heure top chrono, soit une heure aller-retour au maximum.

La progression dans le « Réseau des cascades » se fait essentiellement par l’intermédiaire d’une main courante pour avancer au-dessus de la rivière souterraine sans se mouiller. Le conduit karstique devient nettement plus étroit et arrosé, mais il est beaucoup plus concrétionné avec localement de belles « pluies » de fistuleuses d’un à deux mètres de long.

Dans la « Salle des Coufinades » Vincent remarque un contact géologique spectaculaire entre des calcaires résistants beiges en amont et des calcaires marneux tendres gris-foncés en aval. Il s’agit d’un contact tectonique exemplaire, un véritable cas d’école, avec un miroir de faille à fort pendage inscrit dans les calcaires résistants beiges, tandis que la bréchification des calcaires marneux gris-foncés est soulignée par une myriade de petites veinules de calcite blanche.


Arrivé au sommet de la Cascade Claudine vers -700m, la demi-heure bonus est déjà écoulée. Avec un peu de frustration, mais en respectant le timing négocié dans « Le Vestiaire », Xavier, Antoine et Vincent font demi-tour pour rejoindre au plus vite le reste de l’équipe qui sommeille au camp -494m dans le « Grand Éboulis ».

Remontée et nuit

Au début de notre remontée, nous buvons à la source claire de la zone très intime dite du « Vagin », un filet d’eau glacée qui s’échappe au plafond d’une fissure rocheuse.


Pause au camp -494m. Une heure de sieste dans l’obscurité humide. Le bruit régulier de l’eau devient berceuse. À l’arrivée des trois « retardataires » on organise rapidement un point chaud collectif sous les couvertures de survie et un bon repas réchauffé pour se revigorer. Moment convivial et réconfortant pour tous. Essai positif d’une bougie de secours fabriquée par Vincent.


Puis il faut repartir. On le sait : la remontée prend le double du temps de descente, parfois plus. Et c’est vrai. Il faut crapahuter dans les éboulis, déambuler péniblement dans le méandre, et remonter tous les puits. Les jambes poussent, les bras brûlent, corde après corde, palier après palier.


La remontée du « Grand Éboulis » s’apparente à une longue progression dans un pierrier de haute montagne. L’effort physique est au rendez-vous, Vincent apprécie.


Dans la « Grande Galerie » la lampe de Damien lâche à nouveau, le noir l’avale par instants. Les voix des autres le guident plus que la lumière.

L’ascension retour, plus longue que le trajet aller, est par voie de conséquence l’occasion de quelques moments contemplatifs pour ceux qui ont encore le souffle, avec de-ci de-là des objets géologiques ludiques :

  • conglomérat karstique ancien, cimenté par une matrice de mondmilch, puis érodé par la rivière actuelle ;

  • rides de courant de type « flaser bedding » dans certains horizons calcaires crétacés ;

  • petite faille en dextre jalonnée de fentes de tension en échelon au pied du puits Aldo (veinules de calcite blanche dans calcaire marneux gris) ;

  • remarquables rides de courant entrecroisées dans les calcaires bioclastiques beiges en remontant les puits Gontard et Garby.

    On émerge enfin du gouffre. Il est presque trois heures du matin. Le vent de montagne nous gifle, glacial.


    La marche de surface pour le retour au parking est éprouvante. En pleine nuit dans la forêt, les troncs sombres défilent encore et encore, tandis que les racines traîtresses piègent les pieds. Et, au bout du chemin, les voitures. Les phares allumés d’Antoine et Xavier nous accueillent. Ils ont pris de l’avance et sont là depuis une heure, chauffés, secs. Nous, trempés, gelés, mais heureux.


    Après 35 minutes de route, de retour au camp de base à Méaudre, chacun se réfugie dans son duvet pour passer le restant de la nuit sous la tente, il est cinq heure du matin. On sombre rapidement dans un sommeil bien mérité.

    Au réveil


    Le matin du dimanche, chaque muscle proteste. Mais dans nos yeux, la même lueur, celle qui dit : on a vécu quelque chose de rare. Et déjà, l’envie revient. Plonger à nouveau. Aller plus loin.


    Célestine appelle :

    — « Alors ? Objectif atteint ? »

    — « Oui. »

    — « Qu’elles sont vos sensations ? »

    — « C'est tellement indescriptible à vivre et à expliquer, c'est une aventure humaine d'une année. »

    — « L’an prochain, je viens avec vous ! »


    Et nous savons déjà que nous dirons oui.

Bilan du Berger 2025


Avec une profondeur maximum atteinte de -640m dans « Le Vestiaire » pour les uns, et -700m au niveau de la Cascade Claudine pour les autres, l'objectif a été atteint voire dépassé ! Entrée dans le Gouffre Berger le samedi 02/08 à 11h00 et sortie le dimanche 03/08 à 02h50 en pleine nuit, l’équipe a progressé quasi continument durant près de 16h sous terre dans un univers minéral grandiose. Nous sommes sortis autant éprouvés qu’heureux de cette belle aventure collective fort bien préparée et réussie.


Les deux nuits passées sous tente dans le camp de base ont été agréable. Le camp étant équipé d’un barnum pour les briefings, d’un réfectoire, de douches et de toilettes sèches bien entretenues.


Le Spéléo Club de Vienne remercie vivement l’équipe bénévole du Berger 2025 pour l’excellente organisation de ce rassemblement international !