Scialet Robin
Participants : David BOUTONNET - Xavier AJELLO - Jean-François GOLEC - Vincent BLANCHARD
Lieu : Scialet Robin - commune de Bouvante - Drôme
Date : 8/03/2025
T.P.S.T : 14
Ecrit par : Vincent
Préparation
Le fil de discussion, dédié à cette sortie sportive du 08 mars 2025, est créé dans l’empressement le 03 mars. Mais déjà le 04 mars les propositions de sortie sont ambitieuses puisque David suggère très vite le Scialet Robin, le Scialet de Malaterre et le Scialet du Pot 2, chacune de ces cavités présentant au moins un puits de plus de 100 mètres de fond.
L’équipée au complet s'accorde sur ce catalogue sportif, et c’est ainsi que 4 spéléologues s’apprêtent à souffrir sur corde !
Le relevé topographique du Scialet Robin fait peur avant même d’avoir quitté son chez-soi. Verticalité et vertige sont assurés ! Difficile de dormir sereinement la veille tant on se demande si cela est faisable ou seulement raisonnable. Et pourtant toute l’équipée a sciemment décidé de se précipiter dans cet abîme vertical, puisqu’à l’unanimité quarte fous ont voté pour cette aventure estimée à 12 heures aller-retour d’après le site Grottocenter.
Comme à l’habitude au SCV, le matériel de la sortie est préparé la veille, vendredi 07 mars en fin de journée. Dans la soirée, Xavier apporte les précisions nécessaires pour trouver aisément l’entrée du Scialet Robin sur le terrain. Le covoiturage est également organisé dans la soirée avec un unique véhicule désigné pour les 4 membres d’expédition et un rendez-vous prévu sur la place de la Mairie de Cour-et-Buis (38122) à 07h30.
Exaltante épopée vers le centre de la Terre
Après un trajet routier convivial au petit matin du 08 mars, nous sommes arrivés sur place vers 09h30. Un message préventif est envoyé par Jean-François sur le fil « SPELEO Sonnette Vienne », notre sortie du Scialet Robin est prévue au plus tard à minuit.
Le temps d’enfiler nos combinaisons et de s’harnacher, après une courte marche d’approche de quelques minutes (environ 200 mètres depuis la voiture garée en bord de route) nous entrons dans le Scialet Robin vers 10h00 et nous n’en sortirons pas avant 23h50 ! L’entrée du Scialet Robin est relativement facile à trouver au voisinage immédiat de la route départementale D199 aux coordonnées géographiques 44° 57' 46.1" N 05° 20' 58.6" E :
« L'entrée se situe à proximité de la RD 199 en direction du col de Carri depuis le col de la Machine. La voiture doit être laissée en bordure de la route au virage précédent des tables de pique-nique en bois.
Prendre le sentier débutant au panneau forestier n° 19. Il passe à gauche du scialet de la Souche. Il rejoint rapidement une baume abritant l'entrée de la cavité. La marche d'approche est estimée à 5 minutes. L'accès est possible en hiver. »
Sur le bref chemin qui nous mène à l’entrée du scialet, nous rencontrons une équipe de jeunes spéléos en majorité féminines se préparant pour une sortie de mise en pratique des techniques d’équipement dans le Scialet Robin. A l’entrée ils nous laissent courtoisement la priorité tandis qu’ils s’exercent studieusement à des exercices de conversion après avoir amarré une corde sur un arbre au-dessus de la baume d’entrée.
Nous pensions alors qu’ils pourraient nous rattraper dans notre progression, mais bien qu’ils aient suivi de peu, nous sommes restés en tête, et ils semblent avoir fait demi-tour alors que nous entamions la descente du P140.
Pour en revenir à notre équipe, nous y voici donc, c’est le début d’une enfilade de puits profonds de plus en plus impressionnants. À l’entrée quelques araignées cavernicoles bien grasses nous accueillent (genre Meta ?) toujours aussi peu ragoûtantes même pour un spéléo averti.
David part en tête pour équiper la première partie de la décente en prenant soin d’économiser les longueurs de cordes, ce qui nous vaudra quelques passages de nœuds. A l’occasion Jean-François est chargé d’ajuster une déviation.
Les premiers puits ont une section horizontale méandriforme, on se dit que cela ne va pas être facile de les remonter étriqués entre deux parois, mais c’est une fausse impression. On se demande comment ces puits aux parois abruptes mais à section alambiquée se sont formés, mais on n’a pas de réponse. On parle de choses et d’autres en attendant avec patience et bonne humeur que David mette en place notre ligne de progression.
C’est aussi l’occasion d’admirer les chauvesouris qui hibernent tranquillement dans le gouffre, la tête en bas, enveloppées dans leur fines membranes ailées et agrippées aux parois par leurs petites griffes bien affûtées. Des araignées faucheuses (Opiliones) tiennent compagnie aux chauvesouris sur les parois rocheuses.
Plus bas les puits deviennent plus larges et c’est l’occasion de prendre de belles photos tandis que Xavier prend le relais de David afin de poursuivre l’équipement. Suspendu au-dessus de ses camarades, Vincent se tente à d’improbables essais photographiques en pariant sur les jeux de lumière offerts par les lampes frontale des copains spéléos, mais l’apprenti photographe peu habile tournoie sur lui-même, tandis que les coïncidences heureuses de faisceaux lumineux se font rares.
Xavier montre ses talents d’acrobate pour équiper avec courage le puits de 140 mètres, rien que ça ! Cela fait de belles photos d’un spéléologue penché en opposition entre deux parois au-dessus du vide profond que l’on devine par l’obscure et large fissure qui s’ouvre sous lui.
Xavier témoignera après coup, que l’équipement de ce puits vertigineux lui a nécessité vaillance et efforts, autant physiques que psychologiques, pour affronter le vide béant. On le croit sans hésiter !
Le débouché du puits final aura d’ailleurs coûté moultes tergiversations à Xavier. Il n’était pas évident, en effet, de trouver la bonne échappatoire au bas du puits alors qu’une douche froide s’imposait sous l’eau qui chutait dans l’abîme. Aussi pendant que Xavier, récalcitrant à l’inévitable douche revigorante, se démenait pour atteindre la lucarne débouchant sur le réseau horizontal du gouffre ; ses trois camarades spéléos s’impatientaient, amarré sur une petite corniche rocheuse, ou bien suspendus plein vide au niveau d’un fractionnement, dans l’attente interminable du cri salvateur « Libre ! ».
Après une bonne dose de patience et bien que l’espace manque un peu au début du réseau horizontal, on est satisfait d’être arrivé en bas des puits et d’avoir franchi la lucarne tant attendue. Cependant, à peine soulagé d’avoir atteint le fond, et se réjouissant trop vite à l’idée d’une progression horizontale supposément facile, on se demande d’ores-et-déjà où l’on va trouver l’énergie pour remonter.
Quoi qu’il en soit, de cette longue descente vertigineuse, on retiendra surtout l’image d’un puits final majestueux à la hauteur des plus belles photos de spéléologie comme on peut en voir dans la revue Speleunca !
La progression dans le réseau horizontal n’est pas vraiment aisée, mais guère difficile. Elle est quelque peu physique et impose une certaine gymnastique pour déambuler entre les blocs rocheux ou entre les lames des parois aux formes complexes. On alterne ainsi entre des « à quatre pattes », de courtes oppositions, escalades et désescalades, ou de brefs rampings.
Le réseau horizontal se distingue des puits par sa relative exiguïté, son atmosphère sèche et des parois recouvertes d’enduits argileux bruns ou d’encroûtements ferrugineux plus foncés. Le contraste avec les puits verticaux est surprenant, à se demander si l’on est toujours dans le même gouffre. Cependant les chauvesouris toujours présentes à près de 200 mètres de profondeur nous rappellent que nous sommes bien dans le Scialet Robin. Elles sont encore assez nombreuses, aussi nous devons prendre soin de regarder où nous passons la tête et posons les mains pour ne pas rompre leur hibernation.
Le Gour des Soldats est l’occasion de faire une pause contemplative. Ce petit gour, asséché lors de notre passage, livre à nos regards une multitude de petites concrétions blanches verticales (5 à 10 cm de haut) entourées par une couronne de cristaux de calcite beiges bien développés et pointus (2 à 3 cm de long). Le tout surplombé par des concrétions argileuses brun et noir en forme de chou-fleur.
Localement dans le réseau horizontal, des parois rocheuses propres laissent apercevoir des coraux fossiles en coupe transversale dans la masse calcaire. Ils se présentent sous la forme de mamelons rubanés de quelques décimètres d’envergure. Une affiche plastifiée confirme l’observation de ces coraux appelés Madrépores, qui témoignent d’une mer tropicale ancienne probablement d’âge Crétacé, c’est-à-dire bien antérieure à la formation des reliefs alpins.
Vers 14h00 nous faisons une courte pause pique-nique. Puis vers 15h00 Jean-François et David débattent afin de fixer une heure buttoir pour notre demi-tour. C’est finalement vers 16h00, pressés par le temps, que nous ferons demi-tour sans avoir atteint la Galerie des Manchots que nous espérions admirer. Elle ne devait plus être très loin, mais nous avions l’impératif de conserver notre énergie pour remonter les puits et être à l’air libre avant minuit.
C’est ainsi qu’après avoir franchi l’Escalade des Choux-fleurs, nous avons a priori fait demi-tour dans le Méandre de la Neige. Dans cette partie du réseau des patchs de concrétions très blanches et très fragiles (concrétions de mondmilch ou « lait de lune » d’origine bactérienne ?) plus ou moins développés, ornent les parois enduites d’argile marron. Le contraste entre les fragiles concrétions blanches et les parois marrons est saisissant.
En rouge : tracé de notre parcours dans le réseau horizontal du Scialet Robin
La progression en sens inverse dans le réseau horizontal ne traîne pas et nous nous essoufflons, chacun plus ou moins, pour garder bonne allure.
Arrivés au bas des puits c’est l’instant de vérité, il faut nécessairement remonter tout ce qui a été descendu. Vincent se déclare insuffisamment confiant pour assurer le déséquipement de la première partie de la remonté, mais en contrepartie il se porte volontaire pour porter le matériel afin de soulager Xavier qui prend en charge le déséquipement. David suivi de Jean-François remontent en tête.
C’est donc parti pour un intense effort, 200 mètres de remonté verticale quasi non-stop, tandis qu’une surprise attend Vincent dès le départ. Pour en éviter le désagrément, ce dernier aurait mieux fait de prendre son courage à deux mains pour déséquiper.
De fait, une petite épreuve attend l’heureux trouillard, dont les émotions passeront du dégoût intériorisé à la dérision euphorique, ou comment prendre sur soit au sens propre comme au sens figuré pour soutenir le moral d’un camarade d’expédition éprouvé. En effet, suite au surgissement de bruits de gorge forts douteux, une fine pluie de projectiles visqueux et à l’odeur typiquement stomacale se sont abattus au bas du P140 sur Vincent qui, bonne figure, pensait bien faire en se précipitant au pied de l’abîme verticale pour ne pas faire attendre son suivant. De l’inquiétude d’entendre et de subir la fatigue de son prédécesseur, le malheureux receveur de cette bruine fétide a préféré autant que faire se peut intérioriser son dégoût et, au lieu de mots disgracieux et inutiles, propager vers le haut quelques paroles de soutient qui se voulaient rassurantes. Mais l’émotion contenue eu tôt fait de rejaillir sous la forme de fous rires de-ci de-là résurgents une fois sorti de la cavité !
La remonté se passe bien malgré tout, chacun prenant sur soi de progresser régulièrement et de contribuer dans la mesure de ses moyens à l’avancée du groupe. Les kits de cordes sont échangés entre Xavier, Vincent et David pour équilibrer le portage du poids. Et après la remonté des trois quarts du P140 (partie la plus vertigineuse) Vincent prend le relais de Xavier pour le déséquipement.
En remontant on remarque de beaux objets géologiques dans les parois calcaires des puits. Des couches très riches en coquilles fossiles (lumachelles) et des calcaires à laminations entrecroisées autorisent quelques distractions pendant l’effort physique. On pense alors à une antique mer chaude, agitée par les courants de marée et les vagues, où la vie proliférait abondamment il y a plusieurs dizaines de millions d’années.
En tête de puits à la cote -82 mètres, David aide Vincent essoufflé par le portage d’un kit de corde. Puis Vincent prend le relais pour attendre et aider Xavier à déséquiper cette tête de puits qui nécessite de se mettre en opposition entre les parois au-dessus du vide.
Vincent prend en charge le déséquipement entre -82 et -39 mètres. C’est un exercice agréable car l’esprit y est sainement occupé, avec la concentration nécessaire à sa propre sécurité et sans empressement. Le déséquipement des mains courantes et d’une déviation donnent du fil à retordre, car il faut parfois redoubler d’effort et d’astuce pour défaire les amarrages à bout de bras, toutefois l’esprit reste agréablement serein.
Dernier partage des tâches avant de retrouver l’air libre, Xavier et Vincent s’attellent ensemble à remonter un kit bourré de cordes jusqu’à la tête du P13. Puis Vincent part devant avec la charge du kit, tandis que Xavier finalise le déséquipement jusqu’à la surface. Il est le dernier à sortir, mais il est déjà près de 23h50 et nous avons passé plus de 13 heures sous terre.
Xavier et Vincent sont rassérénés de se retrouver David et Jean-François qui, bénéficiant d’un peu d’avance, ont pris soin de rapprocher la voiture au plus près de la sortie du Scialet Robin, épargnant ainsi un peu de marche aux deux derniers. Ces beaux derniers, justement moqués, car coupables d’avoir malicieusement caché les clefs de l’automobile au pied d’un arbre soi-disant évident au beau milieu de la forêt, arbre dont Jean-François et David se souviendront autant qu’ils l’ont cherché.
Le temps d’ôter les harnais et combinaison puis de se changer et d’enfourner le matériel dans le coffre de la voiture, minuit est bien vite passé et il faut prendre rapidement la route. On s’arrêtera une dernière fois vers une heure du matin, dans un petit bourg, pour un pique-nique nocturne improvisé sur la terrasse d’un bar qui bien que fermé nous autorise tacitement un petit moment de joyeuse et réconfortante gourmandise.
Bilan de la sortie
La petite équipe soudée du SCV a descendu et remonté l’ensemble des puits du Scialet Robin incluant le majestueux P140 « Jacques’potes », avec un aller-retour dans le premier quart du réseau souterrain horizontal jusqu’au Méandre de la Neige. Les -200 mètres ont été atteints par l’équipe au niveau du Gour des Soldats.
C’est une très belle sortie sportive, une première à -200 mètres au moins pour Vincent, et un exercice réussi dans le cadre de la préparation pour le rassemblement spéléologique « Berger 2025 ».










